La débandade du conseil de famille !

La débandade du conseil de famille !

8 août 2022 Non Par Inf'au Zenith
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Par Jules C. AGBOTON .
Ecrivain et auteur du texte.

Exactement trois semaines après la mort de mon père, la famille tint conseil dans le jardin de notre maison. Nous étions tenus à l’écart des débats jusqu’à ce que l’oncle Jonas vînt nous chercher en hurlant à la fois des ordres et des menaces mal articulés.

  • Votre père de son vivant, n’aidait personne. Il n’écoutait personne non plus. S’il avait été habité par une once, je dis bien, une seule once de bon sens, il serait encore en vie aujourd’hui ! Vous êtes bien sûr innocents de sa malfaisance mais tant pis pour vous, vous allez néanmoins en payer le prix. Votre mère avec ! Elle l’a souvent soutenu et même qu’elle l’avait dressé contre nous, sa famille !

Mon frère aîné ouvrit la marche derrière lui, ma sœur et moi suivions en silence et dubitatifs. Personnellement, je n’arrivais pas à comprendre ce pourquoi cet oncle si proche de papa de son vivant, parlait de lui en ces termes après sa mort. Je n’avais encore aucune réponse à mes interrogations quand nous parvînmes à la réunion de famille.

Ma mère était prostrée sur une petite natte à même le sol en face de la famille disposée en demi-lune. Il y avait là, dans l’assistance, quelques personnes que nous n’avions jamais vues. Peut-être, des membres de la grande famille dépêchés du village pour l’occasion.
Je remarquai de jeunes pousses de cheveu sur le crâne grossièrement rasé de maman lors des cérémonies du troisième jour après l’inhumation de mon père. Je la dévisageai furtivement et pus noter à l’expression de sa mine une très profonde détresse que le deuil qui nous frappait ne pouvait seul justifier.

Nos oncles nous firent signe de prendre place à côté de notre maman. Je jetai encore un regard à la natte et compris qu’ils nous invitaient plutôt à nous asseoir par terre. Ce que nous fîmes sans rechigner. Pendant que l’assistance observait encore un lourd silence, je passai le temps à observer de très près ma mère. En si peu de jours, elle avait considérablement vieilli, son visage était labouré de profondes rides que je n’avais jamais vues auparavant. Quand elle leva enfin ses yeux vers nous, je constatai qu’elle avait encore beaucoup pleuré et ne pus retenir mes propres larmes. J’en détestai mes oncles et déplorai mon impuissance face au traitement qu’ils infligeaient à maman depuis la mort de notre papa.

  • Votre père est mort ! Oui, il est mort mais nous on est là ! Comme on le dit chez nous, la mort ne frappe pas tout le monde à la fois dans une famille. Certains meurent et d’autres restent ! C’est le cas ! Votre père est mort et nous, nous sommes vivants ! C’est pourquoi nous sommes réunis ici pour décider de sa succession. C’est notre frère. Nous avons par conséquent la légitimité de procéder ainsi.

Ces propos étaient débités d’un trait par l’aîné des frères de papa avec une gêne assez perceptible de tous. Tonton Gaby, comme ils exigeaient que nous l’appelions n’était pas à son aise. Je pensai qu’il remplissait sans réelle conviction une mission que les autres lui avaient confiée.
Après cette brève introduction, il laissa la parole à un des hommes venus du village qui réajusta à plusieurs reprises le boubou qu’il portait directement sur une culotte coupée dans une toile de qualité douteuse.

  • Nous n’allons rien inventer. Nos traditions ont tout réglé d’avance. Votre papa a beau jouer les européens de son vivant, il n’en demeurait pas moins un des nôtres, un fils de notre terroir. Aussi, sa succession sera-t-elle réglée suivant nos règles. C’est au vu de ces règles que nous avons pris les décisions suivantes. Votre mère va rejoindre le foyer de Gaby ici présent, dit-il en pointant tonton Gaby du doigt comme si nous ne le connaissions pas.

Je compris enfin pourquoi tonton Gaby paraissait gêné en tenant les propos liminaires de cette assise. Je ne peux croire qu’il ait accepté d’ajouter notre maman à ses deux épouses qu’il ne nourrissait que grâce à la générosité de notre papa.

  • Votre jeune sœur s’en ira avec sa mère ! Toi, dit-il en me désignant de son index droit, tu es placé sous la tutelle de ton oncle Jonas. Quant au grand frère, l’aîné, comment s’appelle-t-il déjà ! Bref, il me suivra au village. Il est assez robuste pour m’aider au champ. J’ai en partage avec votre feu père, une grande plantation d’hévéa que je peine à gérer seul. D’ailleurs, on m’a rapporté qu’il n’assimile rien à l’école et redouble chaque classe. Il ne perdra rien à rentrer au village.

Je tournai vers mon frère mon regard plein d’angoisse. Il ne me prêta aucune attention et avait inexorablement ses yeux plongés dans ceux du vieil homme qui débitait la délibération de leur réunion. C’est vrai que Dylan reprenait sa classe de terminale mais il n’avait jamais redoublé auparavant.

  • La maison de votre père étant ainsi libérée, elle sera mise en location. Il paraît que les locations rapportent beaucoup d’argent en ville. La clé de répartition des loyers telle que nous l’avions définie, sera la suivante. La moitié pour ceux qui reprennent en charge votre maman, sa fille et son benjamin. L’autre moitié sera envoyée au village pour y poursuivre les œuvres de votre papa. Au cas où vous l’ignoreriez, il s’occupait bien de ses tantes et oncles du village.

Après ses propos, le silence se fit. Je me demandais s’ils attendaient que nous exprimions nos réactions et m’apprêtais à demander à mon frère de dire quelque chose lorsque tonton Gaby se pencha à l’oreille du patriarche et lui souffla quelques mots.

  • Oh, excusez-moi, j’ai oublié quelques détails dit l’homme du village lorsque tonton Gaby reprit sa position.

Il se mit à tousser pendant un moment. C’était à croire que ce qu’il devait déclarer, l’étouffait.

… J’ai en effet oublié de vous annoncer le sort réservé à la voiture de votre papa, à la parcelle non clôturée dont il dispose au quartier Belleville et à ses meubles. Ils seront vendus ! les sous seront répartis suivant la clé déjà définie dont je vous avais parlé.

A ces propos, notre maman bondit de sa natte, fit un pas au-devant de l’assistance et se mit à gronder comme un tonnerre.

  • Ça suffit ! J’en ai assez entendu et je jette aux ordures toutes les conclusions de vos délibérations de vautours ! Vous n’avez aucun droit ni sur moi ni sur mes enfants. Je ferai appel aux pouvoirs publics pour vous éloigner du peu que mon époux nous a laissé.

Je n’ai jamais vu la femme qui m’a mis au monde dans cet état. Où a-t-elle pu trouver ce courage? Je me levai donc et fis un pas pour me tenir à côté d’elle afin de la soutenir. Elle remarqua ma présence et me tint la main.

  • Je vais élever seule mes enfants. Sans l’aide ni assistance d’aucun d’entre vous. Je vous poursuivrai devant la justice si vous tentez de mettre en jeu votre plan diabolique, leur dit-elle, les parcourant un à un d’un regard courroucé.

Elle s’attarda sur tonton Gaby et le toisant, elle lui dit :

  • Je ne savais pas que je te plaisais et que tu nourrissais même l’envie de faire de moi, ta troisième femme ! Toi, un mendiant insatiable incapable de nourrir ta famille sans l’aide de mon mari ! Maudit sois-tu ! Le fantôme de mon mari viendra chaque nuit te tourmenter jusqu’à la démence !

Pendant que maman vociférait sur cette assistance médusée, mon frère aîné se leva enfin, contourna le groupe et se dirigea vers nos appartements. Maman lui demanda où il allait mais il ne répondit pas. Il ne se retourna pas non plus. Il n’aimait pas les histoires et il parlait très peu. Nos oncles interprétaient alors son départ de la réunion comme une désapprobation des propos que tenait maman. Je le pensais aussi jusqu’à ce que mon frère réapparût, le vieux fusil de chasse de papa et une boîte de cartouches à la main. Ce fut d’abord la confusion et une débandade totale quand mon frère se mit à armer le fusil.

Dans une nuée de poussière, des chaises étaient renversées, certains oncles tombèrent, se relevèrent et tombèrent à nouveau. Le patriarche qui se donnait des airs du plus vieux de la famille, fut le premier à franchir le portail. Tonton Gaby dans un élan de lièvre, survola la clôture d’un bond, oubliant ses chaussures.
Désespérément, maman criait à l’adresse de mon frère : Ne tire pas, mon fils, ! Surtout ne tire pas, mon premier mari bien aimé !

Ainsi déguerpis de chez nous, nos oncles ne revinrent plus jamais. Au pied levé, maman remplaça papa et avec sa pugnacité et abnégation, fit de notre vie une pleine réussite !
Bonne fête à toutes les mamans !

Bout de nouvelle (fiction)
Première publication : 28 mai 2022

Jules C AGBOTON